Kissaria de Hay Mohammadi, 14 h environ, les dards du soleil estival se font de plus en plus oppressants. Les alentours de la fameuse zone commerciale grouillent de monde dans une effervescence particulière. L'activité marchande bat son plein, avec les habituels achalandages et les «invasions» des trottoirs, des chaussées et des lieux publics par les commerces qui fleurissent durant cette période. Cette effervescence accapare aussi l'attention de tous les ménages. Quelle que soit la bourse, le Ramadan a ses exigences, ses «chhiwates» et ses mets.«Nous mangeons plus avec nos yeux. Dans tout le Maroc, la table servie à l'heure du ftour doit être bien garnie, avec toutes sortes de délices», explique Meryem, jeune maman, en choisissant quelques meloui (galettes), qui s'ajouteront à ses innombrables autres achats. Faute de pouvoir préparer elle-même tout ce dont elle a besoin, elle vient une à deux fois par semaine acheter des galettes qu'elle servira durant la semaine. «Je ne suis pas femme au foyer, je n'ai donc pas le luxe de manger des galettes faites maison. Mais à Hay Mohammadi, il y a des femmes qui vendent tout ce dont on pourrait avoir besoin, et elles le font elles-mêmes, ce sont des produits maison comme on en prépare chez soi», ajoute-t-elle. Baghrir (crêpe), Msemmen (crêpe feuilletée), chebbakia, briwate, pastilla, etc., les Casablancaises s'activent, n'épargnant ni temps ni argent, pour bien agrémenter leurs tables du ftour. Pour attirer le plus possible de clients, mais aussi afin de fidéliser l'ancienne clientèle, les vendeurs de Hay Mohammadi rivalisent de créativité.Devant les portes menant à la Kissaria, plusieurs femmes se sont aménagées de petits espaces où sont entreposés sommairement petites tables, fourneaux et bonbonnes de gaz, ainsi que différents ingrédients. Elles ont cette capacité – pour ne pas dire manie – d'interpeller les passants, éventuels acheteurs, même lorsqu'elles sont déjà occupées avec un autre client. Elles proposent, pour la majorité d'entre elles, du baghrir préparé sur place ou à la maison. Les prix sont unifiés. Une véritable concurrence, pure et parfaite, caractérise l'activité commerciale de ces dames dont les mérites ne sont plus à démontrer.En ce sens, à la tête de ces «entreprises» individuelles, des femmes chef de famille, dont le mari est malade, retraité, au chômage… ou encore des jeunes filles sans emploi. Le mois du Ramadan leur permet de doubler leur chiffre d'affaires. «Cela fait des années que je vends du baghrir, ça me permet de faire vivre ma famille. Mais durant le Ramadan, je vends deux fois plus ! Il y a des femmes qui viennent presque tous les jours prendre la même commande, d'autres viennent faire leurs emplettes avec une fréquence hebdomadaire. La clientèle est variée et le plus important est que je fasse travailler mon tiroir-caisse !» affirme Fatima.Un peu plus loin, ce sont les vendeurs de chebbakia qui attirent les regards. Les commerçants, qui ont l'habitude de vendre des gâteaux, se tournent à l'approche du mois sacré vers la vente de chebbakia et du fameux «sellou», subtile mélange de farine cuite, de miel, de beurre, d'amandes et de noix pilées, de sésames et bien d'autres ingrédients aux saveurs magiques. Au vu de l'affluence et de la demande, ces vendeurs, qui changent de métier à souhait, n'hésitent pas à recruter plus de personnel. «Je profite du mois du Ramadan pour me faire un peu d'argent de poche», explique Youssef, qui ne trouve du travail que durant cette période. Le restant de l'année il est au chômage. La demande qui est déjà très grande vers le coup de 15 h atteint son zénith juste après la prière d'Al-Asr, avant que vendeurs et clientèle ne rentrent chez eux pour attendre l'heure du ftour. Hymne à l'habit traditionnelRamadan marque «la réconciliation» des Casablancaises avec l'habit traditionnel. À l'intérieur de la Kissaria de Hay Mohammadi, ce sont les couturières qui ont la côte ! Elles sont installées sur des tabourets, directement face à leurs machines à coudre. À deux semaines de l'Aïd, elles ont déjà plusieurs commandes. «Tout le monde ne peut pas se permettre de confectionner une djellaba chez un couturier connu, cela revient trop cher. Nous offrons à celles qui n'en ont pas les moyens la possibilité de porter, à pris abordable, un nouvel habit», affirme Daouiya, une des couturières installées sur la place. Entourée de sachets pleins de tissus, de fils de différentes couleurs et de quelques mètres de «sfifa» (sorte de broderies servant pour les terminaisons des manches, du col et des bordures), elle entreprend de passer quelques morceaux de tissu sous l'aiguille de sa machine à coudre pour en faire une djellaba. Sa fille, installée à quelques pas d'elle, a hérité du même métier depuis des années. Telle mère, telle fille, est-on tenté de dire !
Source :Dalila Saadou, Le Matin (http://www.lematin.ma/journal/2014/ramadan_dans-les-dedales-de-kissariat-hay-mohammadi/206174.html)