Les passeurs du fleuve Bouregreg assurent depuis des siècles la traversée des passagers entre les deux rives Rabat-Salé. À l’heure actuelle, leurs activités sont gênées par les chantiers initiés sur place.
Le revenu journalier des passeurs de Bouregreg se situe entre 20 et 40 dirhams. Une somme dérisoire pour faire vivre leurs familles. La situation sociale des «barcassiers» (passeurs) laisse beaucoup à désirer, du fait du recul de leurs activités durant ces dernières années et de l’absence de tout soutien pour les aider à surmonter les épreuves de la vie. « Les choses ont beaucoup changé. Avant le projet de l’aménagement de la vallée, nous avions un bon revenu. Nous pouvions subvenir aux besoins de nos familles. Maintenant, ce n’est plus le cas. Qu’est-ce que nous pouvons faire avec 20 ou 30 DH la journée », s’exprime un jeune passeur, l’air on ne peut plus déçu. « Huit cas de divorce ont eu lieu parmi nous. Nous sommes dans l’impossibilité d’entretenir nos familles. », nous confie un autre passeur, père de deux enfants et divorcé.
La plupart des «barcassiers», pour ne pas dire la totalité, sont mariés et ont des enfants (2 à 3). Depuis leur tendre enfance, ces canotiers ont été toujours attirés par le fleuve Bouregreg. Il est leur lieu de prédilection et leur source de jouvence. Aujourd’hui, tout a changé. « J’ai interrompu mes études primaires. J’ai jeté mon cartable dans cet oued pour ramer dans ces eaux. Je suis là depuis 20 ans et je ne pourrais pas faire autre chose que cela », martèle un «barcassier» à peine âgé de 36 ans.
Selon ces passeurs, le recul de leurs activités est principalement dû à la métamorphose qu’a connue la vallée. Avant, nombreux étaient les passagers qui préféraient traverser le fleuve à bord des barcasses. Il s’agissait notamment des gens qui se rendaient à l’ancien terrain d’El Massira, des militaires travaillant dans la caserne de Salé et des visiteurs de l’ancienne Marsa. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les projets de l’immobilier lancés sur place gênent leurs activités. « Si le rythme des travaux de construction est plus soutenu, la situation aurait été différente », lance Rachid, un «barcassier». Concrètement, seule la rive de Rabat disposant de deux embarcadères est opérationnelle. Du côté slaoui, un quai nécessite des réparations depuis plusieurs mois. « Aucun responsable n’a pris la peine de nous rendre visite pour régler cette situation qui porte préjudice à notre activité », a déclaré un passeur avec amertume.
En général, les «barcassiers» se plaignent de l’absence d’interlocuteur qui pourrait prêter une oreille attentive à leurs doléances et même pour honorer les engagements pris lors du démarrage du projet, à savoir l’octroi de nouvelles barques et la réparation de celles qui ont été affectées par les aléas du climat lors du gel de l’activité, au début des travaux effectués dans le fleuve. C’est l’INDH et l’Agence de l’aménagement de la vallée de Bouregreg qui se chargeront de cette mission. Le relooking des barques et tirer de l’oubli les fameux costumes d’antan ont également été avancés par l’AAVB.
La saison est également un facteur qui modère le revenu journalier. En hiver, les passeurs travaillent rarement. Ils s’entraident et partagent le gain. En été, la seule saison où les affaires pourront marcher, les festivals tenus sur la place perturbent en quelque sorte leurs activités. Chose qui n’enchante pas les passeurs.
Quant aux tarifs, ils ont connu des changements. Mais le prix reste accessible à tout le monde : 1,50 dirham/personne. Et pour ceux qui veulent effectuer une tournée, le prix varie entre 30 et 100 dirhams.
Pour faire un bref retour de l’histoire, un sexagénaire se rappelait du montant de la traversée, deux centimes à une certaine époque. D’après lui, l’oued, communément appelé par la population des deux villes mitoyennes a toujours été un lieu d’activités économiques pour bon nombre de personnes. Une activité liée aux particularités du fleuve. Il s’agit évidemment de l’activité des barcassiers et de la pêche artisanale. Les passeurs et les pêcheurs ont toujours partagé les eaux de ce fleuve.
Les va-et-vient incessants des barcasses tout au long de la journée, les foules de passagers étaient un décor quotidien de la vallée. Aujourd’hui, ce décor a bien changé et le bon vieux temps est révolu .
Relooking de la vallée
La vallée du Bouregreg a toujours occupé une place importante dans la mémoire des habitants des deux cités Rabat et Salé. Outre sa vocation historique et naturelle, elle était, depuis la nuit des temps, le berceau de certaines activités ancestrales exercées par les R’batis et Slaouis. Deux métiers qui marquaient l’identité du patrimoine local. Aujourd’hui, la vallée est relookée : corniche, quais marina et port de plaisance. Par contre, ce relooking a touché quelque part l’activité des passeurs. Jouissant d’un passé glorieux, maintenant, elle est en voie de disparition.
S.B., Le Matin (http://www.lematin.ma/journal/Les-barcassiers-de-Bouregreg_Un-metier-en-peril/163792.html)