Au fil des oasis de l'extrême sud du Maroc, l'ocre du désert grignote peu à peu le décor. A Tamegroute, pourtant, le vert occupe toujours le devant de la scène, grâce à la poterie locale, unique par sa couleur.
Autrefois voie de passage, comme toute la vallée du Draâ, sur les grandes routes caravanières, Tamegroute, cité de quelques milliers d'âmes, est le berceau de la confrérie soufie Zaouia Nassiria, fondée au XVIIe siècle par Mohamed Ben Nasser, qui fit venir un grand nombre de savants et d'artisans.
Elle a conservé de cette riche période une célèbre bibliothèque, dont certains ouvrages remontent au XIe siècle, mais également une poterie typique en émail vert.
"C'est cette couleur verte qui fait sa renommée par rapport à d'autres poteries au Maroc. Je peux même dire que c'est la seule au monde, puisque beaucoup ont essayé de la copier mais sans succès, et cela grâce à son secret", avance Hamid Aït Dani, un artisan.
Diplômé en chimie minérale, il note que la fabrication de la poterie "passe par quatre étapes principales: la préparation de l'argile, le modelage, la peinture et la cuisson".
Mais c'est Abdelhak Bani, à la fois artisan et guide touristique, qui se charge d'expliquer aux visiteurs les caractéristiques locales.
"L'interaction du cuivre, du khôl (à base de manganèse) et de +pierre morte+ génère cette couleur verte lors de la cuisson, tandis que de la poudre céréalière donne l'aspect brillant ondulé et les gradients illimités", dit-il.
"Honorable métier"
"Il y a un autre élément derrière cette couleur qui reste secret", enchaîne toutefois M. Aït Bani. "Des artisans d'ici, avec un financement japonais, ont essayé de reproduire la même poterie dans des fours modernes à gaz. Mais le résultat n'était pas satisfaisant..."
Derrière les murs qui enserrent l'ancienne médina, d'où s'élève la fumée noire des vieux fours, ils sont au total une dizaine à veiller sur ce "secret", descendants de six familles installées dans la région depuis quatre siècles.
"Nous avons hérité de cet honorable métier et nous le transmettons de père en fils. On vit de ses revenus depuis des siècles (...) et on est fiers de ça", proclame un de ces artisans, Abderrahmane Bassou.
"Elle représente notre culture et aide le tourisme local", ajoute-t-il, sous le regard d'un groupe de touristes australiens ayant délaissé pour quelques heures les sentiers battus menant aux premières dunes du Sahara.
Selon Abdel Halim Sbai, qui organise des séjours dans le sud du Maroc, "la poterie et la deuxième activité des habitants après l'agriculture".
"Dans les périodes de grande sécheresse, l'artisanat devient même la seule source de vie de la population. (...) Il faut soutenir ces familles qui ont gardé et protégé ces traditions et ce patrimoine", relève-t-il.
Au coeur de cette fabrication artisanale, chaque "ingrédient" est aussi demeuré authentique, signalent les artisans de Tamegroute.
La terre et l'eau pour préparer la boue proviennent de la vallée du Draâ, et le bois des fours traditionnels des restes de troncs et de feuilles des palmiers-dattiers. Quant au transfert de ces différents matériaux, il se fait toujours à dos d'âne.
AFP, Aufaitmaroc.com (http://www.aufaitmaroc.com/actualites/maroc/2013/5/25/a-tamegroute-des-artisans-veillent-sur-le-secret-de-la-poterie-verte_212775.html)